Vers une langue libérée

Née en Allemagne en 1963, établie à Genève depuis plus de vingt ans, Heike Fiedler tisse une œuvre poétique à la frontière entre les langues et les genres. Musique, vidéo, performance et typographie irriguent un projet littéraire qui joue avec les sons pour expérimenter un autre rapport aux mots, au-delà du sens immédiat, dans la lignée des poésies concrète et sonore. Mêlant les idiomes – le français, l’allemand, l’anglais et le russe se bousculent sur la page comme dans ses performances sur les scènes d’ici et d’ailleurs –, elle fait imploser le langage pour le faire «résonner (et raisonner)» à nouveau et «revivifier notre regard sur l’Histoire», selon les termes de Julien Bürri, qui signe la préface de ce Mondes d’enfa()ce.
Dans ce petit livre en prose paru chez MiniZoé, Heike Fiedler évoque à la troisième personne son enfance allemande et son chemin vers l’écriture. On plonge dans l’Allemagne de l’Ouest des années 1960, dans la banlieue de Düsseldorf où la famille vit dans un immeuble de briques rouges. L’art n’y pénètre pas, les parents travaillent sans cesse, et les mots sont rares pour exprimer l’intime, mais pas seulement: «Même des mots existants il fallait se réapproprier. Un pays entier devait retrouver le sens perdu des mots violés durant le régime nazi, des mots utilisés pour planifier l’horreur.» La jeune fille cherche une langue à soi pour définir sa place au monde. Mais c’est ailleurs, à l’étranger, qu’elle trouvera «la source d’une langue nouvelle», qui lui permettra de «fuir les lignes prédestinées». Mondes d’enfa()ce a été écrit en français: un détour nécessaire pour évoquer ce passé avec un regard renouvelé et raconter la genèse d’une langue poétique métisse.

 
 

Heike Fiedler, Mondes d'enfa()nce, Ed Zoé, coll. MiniZoé, 2015.

Ve 18 septembre à 18h, discussion entre Heike Fiedler et Daniel Maggetti, lecture et projection, à la librairie Le Rameau d’or (17 bd Georges-Favon, Genève). www.rameaudor.ch