Fantastique encyclopédie

Almanach, conte philosophique, encyclopédie, grimoire étrange aux pouvoirs magiques? L’Atlas des reflets célestes est un peu tout cela. On se croirait dans le rêve de son auteur, un monde où tout est possible, où se tissent d’étranges correspondances tandis que les personnages eux-mêmes partagent leurs songes ou se les font voler. Né en 1961, lauréat des plus importantes distinctions littéraires en Serbie,  Goran Petrovic a signé une quinzaine de livres traduits en plusieurs langues. Si l’Atlas est son quatrième ­roman à être traduit en français, c’est le tout premier qu’il a publié, manifeste poétique qui influencera son œuvre.

Petrovic se laisse aller ici à un désir d’enfant: celui de capturer l’univers dans les pages d’un livre immense – pas étonnant qu’Alberto Manguel en signe la préface. Il joue avec trois fils romanesques et multiplie les récits avec une imagination folle: le premier niveau raconte l’histoire de huit personnages  un peu sorciers qui décident un jour d’ôter le toit de leur maison afin d’être plus près du ciel; des notes expliquent les lois physiques et métaphysiques de leur univers et sont souvent aussi longues que le texte premier; enfin, 52 «planches», dont la provenance – tel musée ou telle institution – est dûment mentionnée, font office de contrepoints historiques ou mythiques aux deux premiers niveaux. Sauf que ces vignettes – tableaux, cartes et illustrations – sont totalement fictives et qu’elles n’apparaissent pas sous la forme d’images mais de textes entourés d’un cadre. Le tout s’associe et fourmille de trouvailles, les huit personnages conduisant tour à tour l’action. Projeté dans des digressions enchanteresses, le lecteur, lui, va de surprise en surprise.

Cette encyclopédie à la fantaisie érudite emprunte à Borges, Eco, Calvino ou Rushdie – cités, avec beaucoup d’autres, dans les «sources» de Petrovic dont la liste conclut l’ouvrage. «Il n’est pas que la taille totale d’un individu qui en dépende (des rêves, ndlr), mais, une fois faite la somme de tous les rêves, la taille totale de l’humanité», écrit l’auteur serbe. De fait, il porte sur le monde un regard ­vaste, épique, attentif aux destinées, au cosmos, à l’au-delà. Son Atlas des reflets célestes voudrait élargir les limites du temps et de l’espace, il invite à l’errance, convie rêves et intuitions, éclaire le dessous des faits. Et fait écho à l’encyclopédie Serpentiana qui fascine nos huit héros: elle n’a ni début ni fin et s’ouvre toujours à la bonne page. En bon cartographe, l’écrivain invite lui aussi à dépasser les marges.

 

Goran Petrovic, Atlas des reflets célestes, tr. du serbe par Gojko Lukic, préface d’Alberto Manguel, Ed. Noir sur Blanc, coll. Notabilia, 2015, 319 pp.

 

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