Figures en clairs-obscurs

C’est un roman à la facture classique, à l’élégance discrète, une tragédie contemporaine qui emprunte ses motifs à la Renaissance et entrelace l’histoire d’un amour pur aux fils sombres de la jalousie et de la violence. Essayiste, traducteur et romancier, Etienne Barilier oppose, dans Les Cheveux de Lucrèce, deux garçons qui se ressemblent autant physiquement que leurs âmes diffèrent, tous deux attirés par la belle et solitaire Lucrezia. De père français et de mère italienne, Clément et Arnaud vivent à Florence et ont 13 ans quand ils découvrent, lors d’une sortie scolaire, la fameuse mèche de Lucrèce Borgia exposée à la Biblioteca Ambrosiana de Milan. Leur fascination devant ce «reliquaire païen», «le plus tentateur, le plus doux des serpents», se double du trouble provoqué par les révélations sur la réputation sulfureuse de la belle. Empoisonneuse dépravée ou protectrice des arts injustement calomniée? Les deux versions s’opposent, Arnaud ne voyant que l’obscurité des êtres tandis que le doux et timide Clément refuse d’y croire. Quand une blonde et bien réelle Lucrezia apparaît à l’école, ils verront en elle cette figure mythique. Elle agira comme un révélateur, mettant au jour la nature profonde des deux amis.


Clément amoureux parvient à se rapprocher de la jeune Lucrezia, alors que l’audace et le courage d’Arnaud, qui impressionnaient tant son ami, se muent peu à peu en un froid cynisme nourri par l’attitude sordide des adultes qui l’entourent. La jeune fille vit seule avec son père orfèvre et cache un douloureux secret. C’est dans l’arrière-boutique sombre du vieil artisan que se nouera le drame qui séparera les deux adolescents, Clément rattrapé par ce qu’il juge être sa lâcheté viscérale. Mais entre Florence, Paris et Capri, les années ne tariront pas le feu des passions.


Vengeance et fidélité, confiance et trahison, lâcheté et rédemption, pénombre et lumière, figure du double, amour idéalisé: des lignes de force archétypales structurent Les Cheveux de Lucrèceet irriguent ses thématiques. Etienne Barilier plante son action dans un décor de clairs-obscurs où jouent les ocres des vieilles pierres, où l’art et son histoire baignent les rêves des protagonistes et dirigent subtilement l’intrigue. Et on le suit avec un plaisir esthétique identique à celui qu’on éprouverait à arpenter le territoire familier d’un mythe.

 
 

ETIENNE BARILIER, LES CHEVEUX DE LUCRECE, ED. BUCHET-CHASTEL, 2015, 225 PP.

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