Fascination du mal 

Son premier roman avait cartonné en Suisse romande: sombre et sensible, Ils sont tous morts(Prix Edouard Rod 2014) racontait la dérive d’un groupe de jeunes drogués vaudois dans les années 1980. Une fiction coup de poing inspirée par le parcours de sa sœur toxicomane. Antoine Jaquier affectionne les sujets de société: son deuxième opus s’inspire d’un fait divers pour plonger dans les arcanes obscurs de la psyché humaine. Au sud de Paris, en juin 2013, «l’ogre de Rambouillet» sort de prison. Un séisme pour les familles des trois garçons qu’il a tués. Leurs pères, qui avaient promis de se venger dans un tel cas de figure, se revoient; le hasard désigne Michel comme l’exécuteur des basses œuvres. Se faisant passer pour un journaliste désireux d’écrire un livre sur le psychopathe, il rencontre Gilbert Streum – le monstre – chez lui à plusieurs reprises. Celui-ci est intelligent, séduisant et manipulateur, et Michel tisse avec lui une relation ambiguë qui ébranle son fragile équilibre.

Antoine Jaquier éclaire la complexité des vies et le dessous des apparences. Car si Streum est en effet monstrueux, il n’est pas sans sentiments pour ses victimes reléguées «avec les chiens», tandis que les familles modèles cachent des secrets peu reluisants. A ceci s’ajoute un jeune homme rescapé de l’enfer et traumatisé, qui nourrit à l’égard de son bourreau des sentiments ambivalents. Surtout, l’auteur sonde la fascination exercée par le mal commis sans complexes: «l’ogre» captive Michel par sa liberté d’être et de faire ce que ses pulsions lui dictent hors de tout frein moral. Il semble puissamment lui-même aux yeux de ce père paumé, tenté peu à peu par l’envie de soumettre lui aussi les autres.


Suspendant tout jugement, l’auteur dresse l’état des lieux glaçant d’un monde où le manque d’amour est une lame de fond dont les répercussions sont infinies. Simple et percutante, l’écriture se contente en revanche de servir ce propos de manière efficace sans vraiment faire entendre une voix singulière.

 
 

ANTOINE JAQUIER, AVEC LES CHIENS, ED. DE L’AGE D’HOMME, 2015, 185 PP.