Ode à Dorli

RECIT - Dans «Habitante des jardins», Gerhard Meier s'adresse à sa femme disparue.

C'est un vieil homme récemment disparu qui s'adresse, dans Habitante des jardins, à sa femme Dorli décédée en 1997. Gerhard Meier entremêle souvenirs et présent, évoque les vivants et les morts, dans un livre bref et bouleversant qui prend la forme d'une conversation ininterrompue avec celle qui fut sa compagne pendant plus de soixante ans. Un grand poème sur la vie, le deuil et l'art.

Né en 1917 et venu tardivement à l'écriture, Gerhard Meier a vécu toute sa vie à Niederbipp, dans la campagne soleuroise, à l'écart des milieux littéraires. Pourtant «aucun autre auteur suisse n'est aussi universel», écrivait Peter Handke. De fait, en observateur attentif et amoureux du réel, l'auteur de la trilogie de Baur et Bindschädler part de l'intime pour lier, avec une grâce et une simplicité saisissantes, réalité du monde qui l'entoure et émotions poétiques. Ainsi de cette scène qui ouvre le livre: Dorli et lui, qui séjournent dans la maison de Nietzsche à Sils-Maria, lisent le manuscrit de Peter Handke Encore une fois pour Thucydide, installés dans un jardin du Val Bregaglia où Rainer Maria Rilke a rêvé sur ses Elégies commencées à Duino. «Dorli, lorsque nous avons levé les yeux des épreuves, les montagnes plongeaient toujours leurs regards dans l'enclos et nous étions entourés de roses. Sauf qu'un nouveau parfum était suspendu au-dessus du jardin, le parfum d'une épopée née de la lumière, des rythmes et de la musique des phrases de Handke.»

Meier convoque ainsi Proust, Tolstoï et Virginia Woolf, Giacometti ou Klee, Caspar David Friedrich, Haydn et bien d'autres encore, qui peuplent son monde au même titre que la comète Hale Bopp et les pommiers en fleurs. Il tresse ainsi un réseau de sens et d'émotions, qui entre en résonance avec les moments vécus par le couple – voyages, balades, enfants, jardin... S'y glisse aussi la brève évocation de ce kiosque tenu par Dorli pendant des années, pour faire vivre le ménage quand son mari a commencé à écrire.

Alors, au fil de sa prose sans artifices, écrivains, peintres et musiciens, étoiles, montagnes et anecdotes du quotidien se mettent à former une ronde lente et douce, une constellation émouvante où les choses sont reliées, où la mélancolie va de pair avec une beauté infinie. «Dorli, quand nous serons de nouveau réunis et que les merisiers seront en fleur, et si cela ne dérange pas Natacha, le prince André et Lara, nous glisserons dans ta barque d'ombre, toi et moi, de Walden à l'alpage de Walden, en direction de la Lehnfluh, escortés de piérides, de belles-dames, de paons de nuit et d'un amiral», écrit celui qu'on imagine heureux d'avoir rejoint Dorli, au mois de juin dernier.

 


GERHARD MEIER, HABITANTE DES JARDINS, TRADUIT DE L'ALLEMAND PAR MARION GRAF, ÉD. ZOÉ, 57 PP.

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