Samples littéraires
A la fin du roman, elle remercie Marcel Proust, Sidney Pollack, Jules Verne et saint Etienne, Björk, Jim Morrison ou encore le mensuel La Tour de garde: autant de sources qu'elle s'est amusée à détourner et dont on retrouve des samples dans Tchatche ou crève. Mixées, collées, parodiées, déformées, les citations s'intègrent dans le flux rythmique haletant de ce deuxième roman de Dorota Maslowska, enfant prodige des lettres polonaises née en 1983.
Encore lycéenne, elle se faisait remarquer avec le best-seller Polococktail Party, traduit dans toute l'Europe et aux Etats-Unis. Elle n'a pas été épargnée par les polémiques, a arrêté ses études pour faire un enfant et se consacrer à l'écriture et, dans Tchatche ou crève – écrit à 21 ans et consacré par le Prix Niké, la plus prestigieuse des distinctions littéraires polonaises –, n'hésite pas à se moquer d'elle-même: «... elle n'a plus jamais écrit aucun livre après ça, aucun livre, c'était un film, qui dès le début s'est terminé, hep, vous, là, lâchez les excréments que vous tenez dans la main, elle reste à la maison, elle essaye ses vieilles ceintures cloutées, du temps où elle était encore jeune et douée, où elle allait avec des stars de séries télé à des dégustations d'alcool et de cognacs chers, à des lancements de fromage fondu, de fromage moisi (...) mais maintenant, à la maison, sans bravos, sans applaudissements, sans copains...» Mais elle se présente avant tout comme maîtresse de cérémonie d'une écriture qui emprunte au rap et au slam son rythme furieux, sa verve déjantée et sa polyphonie, pour dire les failles, l'égocentrisme et la médiocrité d'une Varsovie en pleine mutation. Où il est question d'argent, de pouvoir, d'apparence physique et de sexe, de drogue, de solitude, de succès et d'échec, bref, de l'universelle comédie humaine.
Les chapitres de Tchatche ou crève se développent comme autant de couplets sur les mésaventures d'un chanteur pop en pleine dégringolade, Stanislas Rétro, anti-héros pathétique et odieux. Son manager qui le lâche, ses fans et ses maîtresses intéressées, une émission TV délirante, les folles rumeurs qui courent sur son compte via internet – il serait gay et franc-maçon – le poussent dans des situations de plus en plus absurdes. Avec un humour ravageur, une distance ironique et décomplexée, Dorota Maslowska éclaire la face obscure de cette Pologne en route vers le progrès économique, où Stan Rétro apparaît à la fois comme symbole et victime d'une course aberrante vers le succès et la reconnaissance.
Si le lecteur peine tout d'abord à entrer dans l'univers sordide du roman, il se laisse bientôt séduire par l'énergie de cette prose scandée, inventive, qui mêle différents registres de langage – passant d'un argot cru à des envolées poétiques – et bat le tempo de l'urgence.
DOROTA MASLOWSKA, TCHATCHE OU CREVE, TR. DU POLONAIS PAR ISABELLE JANNES-KALINOWSKI, ED. NOIR SUR BLANC, 2008, 143 PP.