L'amour en noirs et blancs

BEAU LIVRE Frédéric Pajak et Lea Lund croisent leurs regards dans «L'étrange beauté du monde».

 

Il est écrivain, dessinateur, et dirige la collection «Les Cahiers dessinés» chez Buchet-Chastel; elle est dessinatrice et plasticienne. Depuis vingt-cinq ans, ils partagent le quotidien entre Lausanne et Paris. Frédéric Pajak a eu envie d'accompagner les dessins de sa femme Lea Lund «comme un instrumentiste joue pour sa chanteuse», et de parler de leur quotidien de couple qui vit «l'un sur l'autre, l'un dans l'autre». Ils cosignent donc L'étrange beauté du monde, un ouvrage où les textes de Pajak dialoguent avec les 250 dessins à la mine de plomb et au fusain de Lund. Le jeu contrasté des noirs et blancs semble refléter les oppositions d'un duo improbable: si elle est extravertie, solaire, énergique, lui aime la tranquillité, la solitude et la lenteur; il est insomniaque, elle dort dès qu'elle ferme les yeux; il aime les plats mijotés, elle mangue fruits et légumes crus...

Avec humour et sans complaisance, Frédéric Pajak évoque le coup de foudre, l'amour, le quotidien – loin de toute idéalisation, avec une lucidité qui participe sans doute de la force de l'attachement. «Nous sommes devenus un couple fusionnel avec toute la grâce et la contrainte que comporte ce qualificatif», écrit-il. « L'amour se confond à la haine, l'affection à la lassitude, et ce pacte vieux comme le monde relève parfois de la comédie et du drame.» Rien d'impudique pourtant, dans ces pages. Le texte n'est pas simple illustration des dessins, mais discours autre, contrepoint; de même, le couple est avant tout une relation, et le lecteur toujours tenu à distance de son intimité.

 

Vérité fuyante

L'auteur tente bien de parler de sa vie avec Lea; mais «l'ombre recouvre instantanément mes mots». «Je ne dis pas la vérité, mais tout est vrai», remarque-t-il: c'est que leur vérité est mouvante, elle se construit par l'expérience, se laisse deviner dans des références communes. Pajak raconte donc avant tout les moments partagés – deuil de sa belle-mère, enfants, villes traversées, voyages, dans l'île de Sifnos, en Italie ou en Afrique du Sud. Le couple disparaît alors en tant qu'objet du récit: il semble n'exister plus que dans le point de vue du narrateur, se fondre dans cet unique regard, être simplement ce filtre à travers lequel surgit le monde. Son identité est toujours en miroir, en dialogue; Pajak convie ainsi largement Stendhal et ses conquêtes, la vie commune de la fille de Karl Marx, Laura, et de Paul Lafargue – qui perdent leurs trois enfants et finissent par se suicider –, ou Maria de Naglowska, prêtresse russe d'un satanisme féminin et auteure d'une Apologie du divorce... Autant de figures qui éclairent sa propre relation et son incessant questionnement sur le couple, cet animal incompréhensible.

Frédéric Pajak et Lea Lund, L’étrange beauté du monde, Ed. Noir sur Blanc, 2008, 272 pp.

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