«Mon cher ami...»

CORRESPONDANCES Le poète Gustave Roud a entretenu toute sa vie une riche correspondance, notamment avec les critiques Georges Nicole et Marcel Raymond. Deux recueils de cet échange épistolaire ainsi qu'un ouvrage réunissant des articles de Nicole ont récemment remis au coeur de l'actualité ces hommes de lettres qui ont façonné le paysage poétique et critique romand du XXe siècle.

Etablie et présentée par Stéphane Pétermann, assistant au Centre de recherches sur les lettres romandes (CRLR), la Correspondance entre Roud et Nicole s'échelonne sur près de quarante ans, de la fin de leurs études en 1920 à la mort brutale de Nicole en 1959, et offre un éclairage exceptionnel sur la vie littéraire de l'époque. Ecriture, poétique et relation au monde sont au coeur d'un dialogue (plus de 600 missives) qui se fait de plus en plus intime, Roud reconnaissant en Nicole son interprète le plus juste, parlant à son sujet de «divination quasi miraculeuse», Nicole finissant par placer dans le poète des attentes démesurées alors qu'il sombre plus avant dans ses angoisses.

Car les deux hommes partagent un sentiment d'échec et d'impuissance fondamentale, corollaire d'une haute exigence esthétique et morale. Mais ils vivent différemment leur solitude: «Si Roud décèle dans son inadéquation vis-à-vis du réel et de ses contraintes la condamnation à une forme de mort symbolique, elle est aussi pour lui la source et le moteur de sa quête intime; chez Nicole, elle est une entrave qui le voue à l'impuissance créatrice, et qui l'a conduit au suicide», écrit Stéphane Pétermann dans sa préface. Pour Nicole, la langue critique n'est jamais à la hauteur de la poésie qu'elle s'efforce de décrire. «Chaque phrase de toi exige une adéquation si complète que tout recul explicateur semble une trahison», écrit-il à Roud en 1933. C'est qu'il considère la parole poétique comme une forme de métaphysique, un verbe qui révèle. La poésie de Roud semble réaliser son idéal, qui cherche à rejoindre une forme de transcendance.

L'histoire a retenu de Nicole l'image d'un poète maudit, dont les vers ont été publiés à titre posthume. Or il a édité quelques textes poétiques de son vivant. Mais surtout, en tant que critique, il a joué un rôle de véritable «conscience poétique» en Suisse romande. Sa correspondance avec Roud invite ainsi à redécouvrir une voix critique qui force le respect.

Celle-ci se dévoile avec toute son acuité dans La Poésie est le réel absolu, recueil de ses articles et chroniques réunis par Daniel Maggetti, directeur du CRLR. Georges Nicole se place dans la position de «celui dont le seul talent est une écoute attentive», écrit Maggetti. Mais cette humilité va de pair avec une intime compréhension des oeuvres et de l'univers des auteurs. Discernant les textes à portée spirituelle ainsi que les voix les plus remarquables de la poésie de son temps – Crisinel, Matthey, Roud, Jaccottet, Chappaz, Velan –, Nicole a contribué à créer ce qu'on a appelé le «canon poétique romand» du XXe siècle, qui se distingue par une relation particulière à la transcendance. Il a ainsi participé à l'affirmation d'une identité littéraire spécifique à la Suisse romande.

On lira enfin la correspondance entre Gustave Roud et un autre prestigieux critique, Marcel Raymond. Tous deux se sont rencontrés aux éditions de la Guilde du livre – Raymond rejoint Roud au sein de son Comité littéraire en 1942, et ils en seront des membres actif jusqu'à sa dissolution en 1967. Ils s'écriront pendant 33 ans, jusqu'à la mort de Roud. 

 

Gustave Roud, Georges Nicole. Correspondance 1920-1959, édition établie, annotée et présentée par Stéphane Pétermann, Infolio, 2009, 1286 pp.

Georges Nicole, La Poésie est le réel absolu, Articles et chroniques, textes choisis, annotés et présentés par Daniel Maggetti, L'Aire, 2009, 226 pp.

Gustave Roud, Marcel Raymond. Correspondance 1942-1976, édition établie par Nicolas Fleury et Timothée Léchot, Cahiers Gustave Roud n° 13, Association des Amis de Gustave Roud, 2009, 178 pp.