Spirales nostalgiques

Très populaire en Pologne, Kazimierz Orlos n’avait encore jamais été traduit en français. C’est chose faite aujourd’hui grâce aux Editions Noir sur Blanc qui publient L’Estivant, errance nostalgique dans une lagune automnale en quête d’un passé irrémédiablement perdu. Le narrateur est un vieil homme, et son récit prend la forme d’une confession adressée à son fils. C’est qu’il a retrouvé deux lettres qu’il avait complètement effacées de sa mémoire, et qui le bouleversent. Elles sont signées par Mirka, son premier amour, rencontrée pendant ses vacances au bord de la lagune de la Vistule, dans la baie de Gdansk, en 1951 et 1952. Ils avaient 16 ans; après leur dernier été, la jeune fille lui écrit pour lui annoncer qu’elle est enceinte et lui demander, confiante, quand il reviendra pour l’épouser. Il ne lui a jamais répondu. Comment a-t-il pu oublier cette histoire? Cinquante ans après, le vieil homme décide de retrouver l’enfant, Mirka étant morte, pour, peut-être, se faire connaître. Il retourne sur les lieux de son adolescence

Si la ville a changé, il retrouve intactes les dunes, la forêt de pins et la maison des Lachowicz où il passa ces vacances en famille. Le récit suit ses promenades inlassables au bord de la lagune, au fil desquelles émergent des fragments de son passé. Alors qu’il arpente la plage, entre les barques et les caisses échouées, sous un ciel souvent gris et les cris des mouettes, ses pas semblent tracer des cercles autour d’un centre qui l’attire et qu’il craint, et sa mémoire emprunter les mêmes chemins – creusant peu à peu les raisons de sa fuite, esquissant une vérité fuyante. Comment a-t-il pu se soustraire si aisément à ses responsabilités? Question de milieu, d’époque? La société communiste, en habituant à vivre dans le mensonge et la dissimulation, aurait-elle créé en lui une dissociation telle qu’il a pu simplement effacer la nouvelle embarrassante? Il prend des notes, s’interroge sur sa lâcheté et ses compromissions avec le système et, au fil de ses réminiscences et de ses rencontres, semble approcher d’une réponse, d’une révélation, qui restera pourtant insaisissable.

Il règne dans ces pages une atmosphère d’arrière-saison, où la mélancolie se niche dans les tons délavés d’un monde qui n’est plus, où le brouillard humide de l’automne achève de donner au souvenir une dimension fantomatique. Lenteur, solitude et silence imprègnent ce récit porté par une écriture sensible, qui confère à ce regard sur une vie irrémédiablement envolée une douceur qui émousse les regrets.

Kazimierz Orlos, L’Estivant, Ed. Noir sur Blanc, trad. par Erik Veaux, 2011.

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