Sur des traces millénaires

Ce n’est ni un roman ni un essai, plutôt une méditation qui prend la forme d’une promenade rêveuse et solitaire. Le Rêve des naturels, de l’auteure franco-suisse Marie Gaulis, mêle pérégrinations et réflexions au fil des balades de la narratrice, qui arpente un peu la Suisse, beaucoup l’Australie, dans une impossible et nostalgique quête des origines. C’est en effet aux antipodes que la narratrice cherche les traces de ce qui reste du paysage primordial, de «ce qui demeure de notre humanité néolithique d’avant les catastrophes de l’âge du fer». Pour elle, les Aborigènes, ces habitants premiers, portent dans leur corps la marque de cette présence millénaire dont la terre australe garde aussi l’empreinte. Peut-être que là-bas cette voix ancienne résonne plus fort d’avoir été presque anéantie? Dix ans après son livre Terra incognita, Marie Gaulis – qui vit entre la Suisse et l’Australie, où elle a étudié l’œuvre d’auteurs grecs émigrés – explore ainsi à nouveau ce continent qui la fascine.

Le Rêve des Naturels s’ouvre par une visite du Musée d’art aborigène de Môtiers, dans le Val-de-Travers, où a vécu Jean-Jacques Rousseau. Là, au bord d’un ruisseau, la narratrice voit le philosophe, autre «sauvage» proche des vérités animales et végétales. Les peintures des Aborigènes la bouleversent. Puissant et vibratoire, l’art de ces «Naturels», maîtres du rêve et du temps dont la culture est vieille de 40 000 ans, est intrinsèquement lié au vaste territoire, avec ses taches colorées fulgurantes, ses lignes qui «fuient sous le pied comme la poussière du désert et qui, néanmoins, m’appellent et me relient à un socle ancien, un plateau rocheux, celui de ce très vieux continent traversé d’ondes que je devine plus que je ne les connais ni même les comprends».

En Australie, la narratrice parcourt donc les forêts, le désert, la ville et le bord de mer à l’écoute des échos invisibles de ce monde lointain, rêvant d’une origine – fantasmée – qui, loin d’être «pure», serait riche et «noire comme la vieille terre des mythes dont nous venons». Dans sa démarche, le corps joue un rôle majeur. C’est lui qui perçoit les ondes infimes de ces vibrations paléolithiques, tandis que le mouvement de la marche est vecteur de réflexions, de sensations. Il donne accès à cette «pulsation primitive du sang dans notre corps millénaire» qui, comme le silence, est tapie derrière le bruit des villes et des échanges. Marie Gaulis signe ici un livre décidément inclassable où le rêve est roi, une méditation poétique et érudite dans laquelle on s’immerge avec douceur et fascination.

 

MARIE GAULIS, LE REVE DES NATURELS, ED. ZOE, 2012, 157 PP.

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