Poupées russes à l’eau de rose

Y a-t-il une troisième voie entre l’usure du couple et le libertinage? Comment écrire un roman d’amour en évitant les clichés à l’eau de rose du genre? Qu’est devenu Don Juan au XXIe siècle? C’est à ces questions, parmi bien d’autres, qu’Antonio Albanese s’attaque dans son deuxième livre, Le Roman de Don Juan – après La Chute de l’homme, Prix des auditeurs de la Radio suisse romande en 2010. Ecrivain et musicien, le Vaudois entrelace ici trois histoires dans une structure à tiroir plutôt réjouissante. Car Le Roman de Don Juan est à la fois le livre que nous lisons, le titre du roman écrit par Jean Velasco, l’un de ses protagonistes, et celui du récit de Philippe Grandolfi, l’un des personnages de Velasco – où une histoire d’amour tragique est utilisée comme arme de séduction.

Le lecteur va de surprise en surprise, manipulé pour son plus grand plaisir dans ce jeu de poupées russes, la structure du roman reflétant à merveille les illusions et les pièges du sentiment amoureux tout comme la logique des manipulations donjuanesques. Le livre s’ouvre donc par la rencontre entre Victor Manara et Philippe Grandolfi lors d’une soirée littéraire où le premier fait un bide en parlant du thème de sa thèse, «le libertinage de mœurs et d’idées dans la littérature du XVIIIe siècle». S’il maîtrise la théorie, il est nul en pratique: il mène une vie réglée comme du papier à musique, avec futur mariage à la clé. Quand sa fiancée si parfaite le quitte, tout s’écroule. Antonio Albanese décrit les affres de la jalousie à l’heure du tout virtuel: l’amoureux effondré, connecté en permanence à Facebook, y suit la nouvelle vie de son ex en sombrant dans des gouffres de désespoir. Il demandera de l’aide à Grandolfi, qui a trouvé la recette pour séduire les femmes: se poster dans un café et y écrire un roman...   

Changement de perspective: Anne, éditrice, se bat pour le manuscrit d’un certain Jean Velasco, qui raconte l’histoire de Manara et Grandolfi. C’est qu’elle a connu l’auteur avant son mariage, et il représente la possibilité d’une vie différente. Dans le récit de Velasco, on lit enfin le fameux roman de Grandolfi... et on se demande ce qui le rend irrésistible: les femmes seraient-elles si fleur bleue qu’elles succombent à la simple lecture de cette histoire d’amour qui atteint des sommets de pathos? Albanese joue sans complexe avec les stéréotypes du genre, en creuse les clichés, courant parfois le risque de s’y perdre. Au final, il réussit pourtant à la fois à les dépasser et à les rendre attachants.

 

ANTONIO ALBANESE, LE ROMAN DE DON JUAN, ED. L’AGE D’HOMME, 2012, 305 PP.

ANTONIOALBANESE.CH

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