La vie en suspens

De retour de vacances décevantes en Egypte, Kathrin retrouve avec plaisir la solitude de son nouvel appartement du quartier genevois de Saint-Jean. Elle note l’effacement de la douleur familière au creux de son ventre, cette souffrance présente «pour l’empêcher de se perdre dans ses pensées, pour lui rappeler qu’elle possédait un corps malgré cette sensation flottante et brumeuse, cet espèce de sable mouvant qu’était son esprit quand elle marchait dans les rues, à la fois évanescente et ankylosée». Quelque chose aurait-il changé? C’est que depuis que son mari est parti sans explication une année plus tôt, après vingt-cinq ans de mariage, Kathrin vague dans l’existence comme si rien ne la concernait vraiment. Autour d’elle gravitent les amis, la famille: son beau-frère artiste et sa nouvelle compagne, sa meilleure amie Valérie, bourgeoise envahissante, son fils étudiant qui a abandonné les lettres pour l’économie et en veut à son père... Entre son travail de psychiatre, les visites à sa belle-mère dans un EMS valaisan et les moments partagés avec son fils ou avec Valérie, le quotidien de Kathrin s’écoule dans une solitude protégée qu’elle n’est pas pressée de bouleverser...

Dans son premier roman, Guillaume Favre se glisse avec finesse dans la sensibilité de cette femme en deuil qui laissera peu à peu la vie revenir la surprendre. Au fil de scènes qui s’enchaînent sur un rythme maîtrisé, l’auteur né en Valais en 1979 et résidant à Genève déploie la palette subtile des relations et des émotions qui lient et traversent ses personnages. Complexes et attachants, ceux-ci portent les couleurs paradoxales de la vie et on suit leur parcours et leurs émotions avec plaisir et curiosité. Les Choses qui sauvent, ce sont ces habitudes, liens et objets qui demeurent et forment le filet d’une existence lorsque le reste a volé en éclats. Mais rien de dramatique dans la tonalité du roman, au contraire. C’est en tons mineurs, retenus et pudiques que Guillaume Favre brosse son tableau, avec un zeste d’humour, des accents de vérités et une vitalité qui s’exprime dans la fluidité des dialogues.

 

GUILLAUME FAVRE, LES CHOSES QUI SAUVENT, ED. FAIM DE SIECLE ET COUSU MOUCHE, 2012, 238 PP.

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