Dérives américaines

En 2011, Jean-Jacques Bonvin publiait Ballast à l’enseigne soignée des Editions Allia: il y plongeait dans la vie en mouvement de Neal Cassidy, figure méconnue de la Beat Generation, poète sans œuvre terrassé par la drogue et l’alcool à l’âge de 42 ans, qui inspira William Burroughs, Jack Kerouac et Allen Ginsberg. L’auteur genevois – qui est l’un des fondateurs du site Coaltar.net et d’un festival de poésie sonore devenu par la suite Roaratorio – signe aujourd’hui Larsen, toujours chez Allia. Même brièveté du récit, même écriture rythmée et elliptique, même liberté travaillée et fascination identique pour les Etats-Unis, les espaces vastes et dévastés, reflets des angoisses et des dérives des protagonistes.

Larsen, c’est le nom de l’ami du narrateur, chez lequel il vient passer deux semaines de vacances. Ex-taulard en Suisse, Larsen s’est exilé en Californie où il vit dans une maison isolée entourée de matériel récupéré: il bricole de la ferraille, trafique des moteurs et des machines, transforme des objets. Autour d’eux gravitent des personnages en marge: Bragan fume des pétards à longueur de journée, Freddo parle au frigo, Michael est un masturbateur compulsif qui reste invisible mais dont on entend les hurlements; il y a aussi des plantations de cannabis, un pitbull, et Clara, avec laquelle le narrateur a sans doute eu une relation autrefois.

Le temps passe étrangement, dans un vide où passé et présent se télescopent et s’emmêlent. Peu d’action, pas vraiment d’intrigue, mais une atmosphère lente, «white trash de l’épiderme à la moelle», rythmée par l’éternel retour du même: les trajets de Larsen à la déchetterie, les joints et les verres d’alcool, le soleil qui «se couche mais se relève aussitôt», la lecture par le narrateur d’Amuleto, livre culte de Roberto Bolano. Jean-Jacques Bonvin fait ressentir cette routine sans jamais ennuyer, au fil d’un récit sans temps mort, très écrit, qui va à l’essentiel et s’achève en même temps que les vacances du narrateur: «A l’aéroport, il me demande si je suis bien là. Je réponds que j’en ai l’impression. Je prends le sac qui me survivra et me dirige vers les départs.» Il s’en dégage une torpeur lente et presque hypnotique, une sensation de vacuité sur le fil entre dépression et liberté.

 

JEAN-JACQUES BONVIN, LARSEN, ED. ALLIA, 2013, 78 PP.

http://www.lecourrier.ch/106206/derives_americaines