Thriller littéraire de Genève en Alaska

«LA PLUME DE L’OURS» Carole Allamand est la lauréate du Prix Pittard 2013 pour son premier roman, une enquête sur les traces d’un grand auteur genevois aux Etats-Unis.

 

On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec La Vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker, d’autant que l’auteure confesse avoir hésité à intituler ce premier roman L’Affaire Camille Duval. Fort heureusement, elle n’en a rien fait. Reste que La Plume de l’ours se déroule également aux Etats-Unis, qu’il y est aussi question d’une enquête autour d’un grand écrivain, qu’il se lit avec plaisir, porté par une langue fluide et sans fioritures, et que son auteure est genevoise.

Mais l’enquête au cœur de La Plume de l’ours est littéraire et non criminelle, ce qui ne l’empêche pas de se dérouler sans temps mort: ce récit bien mené vaut à son auteure d’être honorée du Prix Pittard 2013, qui lui sera décerné mercredi prochain lors d’une soirée à la Maison de Rousseau et de la littérature à Genève 1. Dotée de 7000 francs, la distinction récompense chaque année une plume genevoise.

Les trois autres finalistes de cette édition étaient Marina Salzmann pour Entre deux (Campiche, 2012), Pascale Kramer pour Gloria (Flammarion, 2013), Philippe Gindre pour Demain ça vient (Ed. des Sauvages, 2012). Carole Allamand, elle, fera le déplacement depuis le New Jersey, où elle réside depuis 1993 et enseigne à l’université.

Dans La Plume de l’ours, c’est aussi le chemin qu’a parcouru le prolifique écrivain genevois Camille Duval en 1948, exilé définitivement aux Etats-Unis après la mise à l’index de son sulfureux Parfums d’automne par l’Eglise catholique. L’œuvre du grand auteur fait partie du patrimoine littéraire de l’humanité, son effigie ornera bientôt les billets de banques helvétiques, il fait la fierté des lettres romandes mais déchire depuis des années les milieux académiques: comment expliquer la rupture entre le premier Duval, auteur d’une œuvre non négligeable mais somme toute mineure, et sa deuxième période qui vit apparaître les chefs-d’œuvre que sont Palliante et la Trilogie rhodanienne, saluée par Claude Simon comme le «pur roman»? Carole Courvoisier entend bien élucider ce mystère en se rendant sur les lieux où l’écrivain a vécu et enseigné, et en rencontrant ceux qui l’ont côtoyé. On suit donc la jeune doctorante genevoise, alter ego fictif de l’auteure, dans une enquête sur Duval qui fournit à Carole Allamand l’occasion d’épingler les milieux académiques suisses et américains avec un humour digne d’un David Lodge.

Les recherches de Carole Courvoisier sont empreintes d’une certaine lenteur, entrecoupées de digressions et d’anecdotes liées à sa propre vie, au point où l’on se met à douter de la voir jamais aboutir. Rien de spectaculaire ici, mais rien d’ennuyeux non plus, bien au contraire. Les rencontres de Carole – avec ses collègues, l’infirmière de Duval, ou encore la fille de l’écrivain –, ses relations à sa mère et à son frère, ses coups de fil à son directeur de thèse et ses réflexions sur les différents courants duvaliens forment un tableau vivant, parfois un brin caricatural, dans lequel on s’immerge volontiers.

NATURE OU LITTERATURE?

Indépendante et solitaire, l’universitaire est tout entière consacrée à sa quête, curieusement asexuée. Elle finira par s’installer en Alaska dans la cabane perdue où Duval a fini ses jours. Là, en pleine nature, voisine d’un refuge pour animaux, elle se prend d’affection pour une ourse. Le lien qui se noue alors entre la jeune femme et le plantigrade prend une importance croissante qui semble reléguer au second plan les enjeux duvaliens... jusqu’à la découverte du fin mot de l’histoire. Carole Allamand sait tenir son lecteur captif avec ce récit d’une investigation décidément atypique, dont le décentrement progressif et les évolutions inattendues distillent un charme certain.

 

1. Me 5 juin à 18h30 à la MRL, 40 Grand-Rue, Genève: lecture d’extraits du roman par la lauréate, entretien avec la journaliste Eleonore Sulser, remise du prix et verrée. Entrée libre. www.m-r-l.ch

 

Carole Allamand, La Plume de l’ours, Ed. Stock, 2013, 392 pp.

http://www.lecourrier.ch/109703/thriller_litteraire_de_geneve_en_alaska