Le dernier chemin

C’est un livre étonnant que publient les éditions genevoises Samizdat, un recueil de fragments lumineux, traversés par la mort. Il est signé Thérèse Houyoux, artiste née en Belgique en 1940, qui a vécu et travaillé à Genève. A côté de l’œuvre montrée, elle dessinait – «la part du cœur, plus intime, plus fragile», écrivent les peintres Yves Berger et Alexandre Loye – et tenait ses carnets intimes. D’octobre 2007 à octobre 2009, pendant sa maladie et sa période de rémission, elle n’a cessé de noter ses pensées et impressions, attentive au monde, à la nature qui l’entoure, à l’instant. Ce sont ces fragments que reçoit par poste l’éditrice Denise Mützenberg, sous le titre La Petite «moureuse» qui nous meurt lentement.

Pour Thérèse Houyoux, cet envoi est une «offrande»: elle tient à voir son texte apprécié, pas forcément publié. Pudique, elle confesse qu’elle trouverait «satisfaction dans une édition posthume». Après sa rémission, elle envoie à Denise Mützenberg une seconde partie, et les deux femmes travailleront ensemble à l’élaboration du livre. Mais elles n’auront pas le temps de l’achever: Thérèse Houyoux meurt en juillet 2011.

Nulle violence, nulle révolte dans La Petite «moureuse», mais une acceptation de cette mort qui chemine dans son corps, une attention fine à ce qui se passe en elle, un questionnement d’une grande simplicité, une ouverture au monde, aux autres, à la nature. Au gré de sobres phrases décochées au plus juste, Thérèse Houyoux égrène les questions et les étapes de son chemin solitaire aux côtés de cette fin toujours à l’horizon, en arrière-plan à la splendeur de l’été, à la chaleur de l’amitié. Elle lui donne le nom de «petite moureuse»: elle n’est pas chat ou faucon qui fondent sur leur proie, mais «souris qui grignote, c’est tout», cette mort «sécrétée au fond de moi-même comme une source / d’eau claire de dessous une mousse dans un sous-bois, infime. / Bienfaisante? Sans violence aucune.»

Quiétude et inquiétude s’entremêlent tandis que l’écriture permet à l’artiste d’éprouver son désir de vivre, sa lucidité, sa connaissance d’elle-même, le sens qu’elle donne à son existence. Au final, La Petite «moureuse» est un livre sur la vie – dont la mort fait partie, apprivoisée, familière. Il s’achève sur une note d’une légèreté sereine: «J’ai promené ma petite mort à travers champs. / Qu’elle en a vu, de belles choses. / Et mes chants? / Elle les a entendus. / Etonnée, la mort, d’être invitée par la vie. Ravie.»

  

THERESE HOUYOUX, LA PETITE «MOUREUSE», ED. SAMIZDAT, 2013, 159 PP.

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