La mort dans votre jardin

Entouré d’une haie de thuyas, le jardin est un «petit néant». «Cent mètres carrés d’un gazon impeccable. Chaque brin d’herbe mesure quatre centimètres et demi. Pas quatre centimètres virgule quatre. Ni quatre centimètres virgule six. Quarante-cinq millimètres très exactement. Même au Jardin d’Eden, on ne se risquerait pas à rêver d’une pareille perfection.» En effet, celle-ci n’est pas humaine: c’est l’œuvre d’une tondeuse électrique automatique, qui fait le tour de la pelouse avant d’aller se recharger sur sa base. Un robot programmé dont rien ne peut arrêter l’inexorable progression. Le renard en fera l’amère expérience. Entré par hasard dans le jardin déserté par ses propriétaires en vacances, il est aussitôt chargé par cette bête sans odeur ni visage, sans bouche ni regard. C’est leur duel à mort que raconte Eugène dans Le Renard et la Faucheuse, où cette arène d’herbe irréprochable est le cadre d’un drame qui se joue en plusieurs actes et dont les spectateurs sont les chats, mulots et oiseaux des environs.

Ce court roman s’avère une fable à la fois sombre et pleine d’humour dans laquelle on retrouve avec plaisir l’imagination débridée de l’auteur lausannois. Le goupil est face à la mort incarnée, qui avance sans montrer d’émotion, attaque sans désir ni animosité, glaciale, sourde et aveugle, totalement arbitraire. Rien ne peut perturber cette faucheuse qui déchiquette, rase et ratiboise tout ce qui se trouve sur son passage – insectes, papillons et, pour commencer, la queue du renard, d’abord tétanisé par cette effroyable indifférence puis décidé à vaincre le monstre.

Cette lutte éternelle d’un être vivant contre la mort est racontée par une chouette, observatrice curieuse et impliquée. Cultivée, informée, elle a un plan pour enfin neutraliser les Animaux – nous, les humains – en sélectionnant les plus doux, à la manière dont nous avons transformé des bêtes sauvages en fidèles compagnons. Le Renard et la Faucheuse peut aussi se lire comme une fable écologique, un hommage aux animaux, nostalgiques du «Grand Avant», quand ni routes ni barrières ne cloisonnaient la Terre, quand tout était encore un «gigantesque organisme» gouverné par les flux et les cycles. En choisissant leur point de vue et en laissant libre cours à sa fantaisie, Eugène distille son message avec poésie, tout en finesse et en légèreté.

 

EUGENE, LE RENARD ET LA FAUCHEUSE, ED. DE L’AIRE, 2013, 115 PP.

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