L’explorateur des émotions

Les nouvelles de Jérémie Gindre sont issues d’une résidence aux Centres interfacultaires en sciences affectives et en neurosciences de l’université de Genève, qui étudient les émotions et leurs effets sur le comportement humain et la société, de l’exploration moléculaire et neurologique à la recherche sociale, psychologique, philosophique et artistique. En 2011, l’auteur genevois a participé au programme Artists-in-Lab, qui mettait en dialogue science et création avec notamment un colloque international autour de l’imagination. Egalement sculpteur, dessinateur et plasticien, Jérémie Gindre a tiré de cette expérience 24 dessins – traductions graphiques des mots et concepts rencontrés – ainsi que cinq nouvelles, réunies sous le titre On a eu du mal et publiées aujourd’hui par les éditions françaises de L’Olivier.

Toutes sont inspirées par des notions telles que systèmes de la mémoire, négligence hémi-spatiale, hypnose ou hallucination. Ces idées deviennent ici contenu narratif, et la science un moteur de l’imaginaire: les récits de Gindre sont loin d’être théoriques et qui ne connaît pas leur genèse n’y verra que du feu.

On y observe donc avec une attention tranquille les réactions et les émotions de personnages confrontés à des situations plus ou moins banales. Dans «Variété des passions», c’est la honte de Paul en vacances au camping avec ses parents dans l’Alberta: il se lie d’amitié avec un garçon qui vit dans le coin luxueux des caravanes, tandis que sa famille campe bêtement... «Et tout casser» explore la collectionnite compulsive de Mélanie Gillioz, étrange et ridicule jeune femme qui s’emballe vite et se lance bientôt dans des actes de plus en plus provocateurs pour exprimer sa révolte et sa liberté. Dans «L’Anorak», après une avalanche, un homme se retrouve isolé dans son ratrak sous une couche de neige et de silence, tandis que Claude, dans «Moitié moins», reprend le jogging après un accident qui l’a laissé insensible du côté gauche. Enfin, «Un été sans guêpes» évoque un séminaire d’une semaine dans le Seeland où sont menées des expériences autour de la mémoire, auxquelles Sven participe en tant que volontaire.

Il ne se passe pas grand-chose, dans ces nouvelles effleurées par un subtil humour. Le style simple et fluide de Jérémie Gindre a parfois la limpidité du discours scientifique, et ses chutes nous tombent dessus sans crier gare, sans faire de vagues, de façon feutrée et comme ironique. Le tout confère au recueil un petit goût d’étrangeté qui fait son originalité.

 

JEREMIE GINDRE, ON A EU DU MAL, ED. DE L’OLIVIER, 2013, 170 PP.

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