Confession d’un parano

Toutes proportions gardées, on pense parfois au narrateur de Notes d’un souterrain de Fiodor Dostoïevski: même logorrhée paranoïaque et misanthrope, même haine indistincte de soi et des autres, même angoisse, même solitude aussi, même contraste enfin entre le désœuvrement du narrateur et son agitation intérieure. Surtout, on se retrouve captif d’une voix obsessionnelle, immergé dans un monde truffé de visions apocalyptiques où se mélangent réalité et délire hallucinatoire: le narrateur de Pyromane, premier roman de Thomas Kryzaniac, pressent la venue d’un incendie meurtrier et craint d’en être l’instrument. Cloîtré dans son appartement vétuste et presque vide – pour éviter tout risque d’incendie –, cet homme gris survit dans la peur, qui motive tous ses gestes: peur de déclencher le feu par accident ou par tentation, peur de ses voisins qui sont autant de menaces potentielles, angoisse de l’attente aussi, qui le rapproche fatalement du drame... Son obsession est telle qu’il souhaite même devancer celui-ci et déclencher le feu afin de s’en libérer. Reposant uniquement sur cette pensée malade, l’intrigue tire sa force de cette parole violente et dérangée à laquelle on ne peut échapper.

C’est à la lecture de la biographie de Malcolm Lowry que Thomas Kryzaniac, né à Strasbourg en 1986 et également musicien sous le nom d’Ernesto Violin, a eu l’idée de ce récit: après avoir perdu des manuscrits dans l’incendie de sa maison, l’écrivain américain a vécu dans la terreur d’un retour du feu. C’est ce que ressent le narrateur de Pyromane, homme peu aimable hanté par une culpabilité existentielle qui précède toute faute – et ceci depuis son enfance, quand il tenait à jour une encyclopédie des chats écrasés. «L’absence du feu remplit mon appartement; sa possibilité, son effroyable vraisemblance déclenchent en moi des vagues de fièvre. Petit à petit, j’en suis venu à croire que tout brûle autour de moi, et que je suis le seul à ne rien voir.» Envahisseur qui hante toutes ses cellules, le feu fait de lui un criminel avant l’acte. L’étau se resserre dans un mouvement oppressant qui se cristallise bientôt autour de son nouveau voisin, un peintre torturé nommé Reuner...

L’auteur, qui réside à présent dans les Caraïbes, excelle à créer une atmosphère angoissante dont la tension va croissant mais n’explose jamais, grâce à une langue imagée et brûlante. C’est bien la force de son écriture qui fait de ce voyage immobile dans un esprit détraqué un palpitant roman noir.

 

THOMAS KRYZANIAC, LE PYROMANE, ED. L’AGE D’HOMME, 2013, 200 PP.

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