De la fin d’un monde et du blues amoureux

 

De la fin d’un monde et du blues amoureux

LIVRES Zoom sur «Pénurie», de Jérôme Meizoz et Zivo, et sur «Fiasco FM» de Flynn Maria Bergmann, deux beaux objets où le texte joue avec l’image.

 

La collection littéraire Re: Pacific, lancée au printemps 2013 par les éditions lausannoises art&fiction pour explorer les liens entre texte et image, s’enrichit de cinq nouveaux titres d’un coup, qui remplissent cette mission de manière originale. On y découvre ­la bande dessinée de Manuel Perrin, In Petto, autofiction pleine d’humour qui raconte une formation artistique; I am, magnifique «inventaire de rêves» signé par l’artiste Marisa Cornejo (lire son portrait sur ce site); les photographies du psy Gérard Genoud qui ponctuent Mémoires enchâssées, récit de la thérapie d’un enfant; Pénurie, où une lettre signée Jérôme Meizoz est illustrée par Zivo; et enfin les poèmes d’amour contrarié de Flynn Maria Bergmann, qui joue avec la typographie dans Fiasco FM.

Pénurie vibre d’une urgence poignante: la missive en question est un appel à l’aide, d’autant plus puissant que le contexte est laissé dans le vague. On ne connaît ni la nature ni le lieu du drame qui frappe une communauté et l’isole du monde, coupant toutes les communications, lui ôtant électricité, confort et nourriture. L’atmosphère est celle d’un village de montagne, la neige approche et l’avenir est incertain; derrière l’angoisse diffuse pointent les spectres de la violence politique et de l’exclusion, références à une actualité inquiétante où la défection est aussi celle de l’esprit. Ce chemin vers le dénuement a été recopié à la main par le peintre Zivo, dans une écriture tremblée et fragile qui autorise les ratures et joue avec les encres délavées. Le texte sobre et intriguant de Jérôme Meizoz en devient plus émouvant encore. Après Fantômes, saluons cette deuxième collaboration entre l’écrivain et l’artiste lausannois, où mots et dessins créent un espace au-delà du texte.

Pas de dessins chez Flynn Maria Bergmann, mais un jeu avec les lettres en 112 poèmes qui disent un amour déçu: courts ou longs, tous tiennent sur une page, la taille des caractères s’ajustant au cadre afin de le remplir. Adresses à la femme aimée et partie, anecdotes, pensées, appels, défis, l’auteur lance des bouteilles à la mer – débordantes d’imagination, drôles et douloureuses. «Après avoir lu ce poème cogne ta tête deux fois contre la page s’il t’a plu et une seule fois s’il t’a laissée indifférente. Je suis de l’autre côté à t’attendre avec un bandage sur le front et un bouquet de tulipes dans la main.» Ou, plus court et en plus gros: «Au propre comme au figuré tu étais belle comme un savon.»

NOUVEAU SOUFFLE

C’est l’accumulation et la juxtaposition de ces variations autour d’une obsession qui séduit, dans ce Fiasco FM. Le narrateur écrit pour ne pas devenir fou, «martyrise le corps de l’objet de ses fantasmes en le morcelant au sein de fragments de souvenirs», comme l’indique l’éditeur. Formé aux arts visuels aux Etats-Unis, influencé par les écrivains de la Beat Generation, Bergmann est aussi auteur de collages et d’installations. Il réinvente ici l’intensité du sentiment amoureux dans une succession de gros plans qui évoquent le cinéma, dont il revendique l’influence, mais aussi les chansons d’amour naïves et mélancoliques de la bande FM (sigle qui forme par ailleurs ses initiales). Au final, il réussit le difficile pari de renouveller le genre en insufflant son inventivité douce-amère dans ces ritournelles éternelles de l’amour impossible. 

Zivo & Jérôme Meizoz, Pénurie, Ed. art&fiction, coll. Re: Pacific, 2013, 220 pp.

Flynn Maria Bergmann, Fiasco FM, Ed. art&fiction, coll. Re: Pacific, 2013, 128 pp.

http://www.lecourrier.ch/117413/de_la_fin_d_un_monde_et_du_blues_amoureux