La promesse du large

La belle couverture des éditions françaises Cheyne invite au large, avec son bleu royal, profond. Une fois le livre ouvert, l’eau nous cueille dès la première ligne: «L’eau a reculé vers le ciel / sans que personne ne la retienne / que restera-t-il quand elle aura pris son envol / seul un lac noir et pour caresse le vent.» Pluie, lac, mer, vagues, marées, gouttes et sanglots, l’eau imprègne le premier recueil de Gaia Grandin, Faoug, ruisselle dans ses 46 poèmes égrenés en trois parties. De «L’Estuaire» à «L’Estran» en passant par «L’Isle», l’auteure genevoise esquisse le portrait d’un lieu et celui d’une quête, au fil d’images fortes, parfois inquiétantes, où dansent des motifs récurrents. Née en 1984, Gaia Grandin a étudié l’écriture à l’Institut littéraire suisse. Ce premier recueil lui a valu le Prix de poésie de la vocation 2013 en France, décerné par la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet.

Faoug, c’est une commune vaudoise sur les rives du lac de Morat, au pied des montagnes. Le lieu est ici relié à un vaste imaginaire maritime. Dans «L’Estuaire», une barque fantomatique nommée La Disparition, «poulies de cendres cordage de poussière», vole vers un horizon indécis. Errances ensablées, «lever de nuit diffus», clapotis de la barque en écho à ceux du corps, entre le ciel et les profondeurs s’étire une traversée en solitaire dans un espace lacustre flottant qui incite au silence, vide et lumineux comme une toile abstraite. Au terme du voyage, «La Disparition est esseulée / au milieu des poissons multicolores / à l’horizon rien d’autre / qu’une miniature d’elle-même / origami de papier peint / toile de désencrage.» Sur «L’Isle», on avance dans un monde solide dont les signes sont la forêt, les falaises, les chemins, le bétail ou ce «désert d’arbres muets qui me dévisagent / mystère exempt de pudeur». L’inquiétude pointe pourtant – «la phrase lézarde l’espace / noir profond éclair / à l’intérieur de l’intérieur / soudain zigzague / la peur des ciels solides» – et l’effroi prendra la forme d’un animal dont on ne voit que les yeux. La dernière partie se tourne à nouveau vers l’eau, vue cette fois depuis «l’estran» – cette zone du littoral située entre les limites des plus hautes et des plus basses marées. Elle se fait alors appel du large, désir de «repousser les murs inventés», promesse. Pour plonger, peut-être, enfin, dans cet «autre monde» où gisent les «phrases / qui veulent dire qui veulent dire».

 

GAIA GRANDIN, FAOUG, ED. CHEYNE, 2013, 57 PP.

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