Lausanne noire
On est loin des personnages de flics taiseux si courants dans les polars, et le dispositif même de ce premier roman de Sébastien Meier est inhabituel pour le genre: c’est par un jeu de discours croisés que se dévoile peu à peu le fin mot de l’histoire. C’est ainsi de manière indirecte, par le prisme de personnages dont la parole n’est pas forcément fiable, qu’on a finalement accès à la «vérité». Une construction romanesque qui suggère finement que la justice est avant tout question d’interprétation et que le récit qu’on fait des événements, la voix et la manière, ont souvent plus de poids que les faits eux-mêmes dans la construction du sens. Paru chez Zoé, qui inaugure dans le genre noir, Les Ombres du métis en dit donc autant par sa structure que par son intrigue. Et celle-ci est menée sur un tempo alerte par Sébastien Meier, jeune fondateur des éditions lausannoises Paulette, au fil de dialogues truffés de faux-semblants qui reflètent la complexité des protagonistes.
Paul Bréguet est le pivot du récit. Ex-flic et fils de notable, suspecté de meurtre, il se confesse à Manuel, l’aumônier de la prison. Sa vie a basculé quand il a retrouvé une nuit, dans les bois de Sauvabelin à Lausanne, un jeune métis nu et inconscient qui avait été battu et violé. Mais une fois sorti d’un long coma, ce dernier – Romain – refuse de collaborer et de se constituer en victime. Fasciné par la beauté du jeune homme, obsédé par cette affaire, Paul fait capoter sa vie de couple et multiplie les fautes professionnelles afin de coincer ceux qu’il pense coupables – il a découvert un réseau de prostitution masculine qui implique des hommes influents. Pourquoi la procureure, sexy quadragénaire, refuse-t-elle au fond de le soutenir? Que s’est-il réellement passé entre Paul et Romain, retrouvé mort chez le policier? Qui a assassiné Crosier, ce riche avocat amateur de parties fines? Pourquoi n’a-t-il jamais été inquiété auparavant?
Au fil des rencontres entre Paul et Manuel se dessine la version des faits de l’ex-flic; leur dialogue est entrecoupé par des scènes de son quotidien en prison et par ses souvenirs, qui complètent son récit tandis que les réflexions de Manuel viennent en contrepoint, l’aumônier étant de plus en plus mal à l’aise face à l’attitude de l’accusé. Il ne doit pas juger, mais se sent manipulé – comme le lecteur. «Je ne sais pas!» hurle Paul confronté à ses questions, peinant à saisir ses propres ressorts intérieurs. «Face à tout ça, il faudrait que je sois un personnage de roman pour tout comprendre. Pour savoir à la fois pour les autres et pour moi. Moi, pourquoi j’ai frappé ma femme? Pourquoi j’ai couru après Romain? Pourquoi cette histoire a pris une telle ampleur?» Si on n’aura pas accès à ce qui a motivé les actes, ceux-ci sortiront pourtant de l’ombre, Romain jouant le rôle de révélateur de relations fragilisées par le mensonge.
Les Ombres du métis tient en haleine à la fois par sa structure et par le ton vif de dialogues dont Sébastien Meihttp://www.lecourrier.ch/120931/lausanne_noireer restitue l’oralité de manière convaincante. Un polar original où tout se joue au final dans la parole, et qui distille ainsi l’air de rien un questionnement sur les pouvoirs de la langue.
SEBASTIEN MEiER, LES OMBRES DU METIS, ED. ZOE, 2014, 222 PP.
Le roman a reçu le prix Lilau 2015 de la Ville de Lausanne, dédié cette année-là au polar.