Une voix salutaire

Son nom est tristement célèbre: Raif Badawi est le jeune blogueur saoudien condamné à dix ans de prison et mille coups de fouet pour ses textes critiques envers les pouvoirs religieux et politique de son pays. Après une première séance de cinquante coups en janvier dernier, la deuxième a été reportée tant la flagellation a été brutale. Le monde entier s’est indigné. Raif Bawadi attend toujours en prison la suite de son châtiment. Aujourd’hui, on peut découvrir quelques-uns des écrits qui lui ont valu ce traitement grâce aux Editions Kero et à Amnesty International, qui soutient la publication de ces 1000 coups de fouet sous-titré «Parce que j’ai osé parler librement».
La plupart des textes de Raif Badawi interdits en Arabie Saoudite ayant été détruits, quatorze d’entre eux ont été choisis parmi ceux toujours disponibles, avec la collaboration d’Ensaf Haidar, son épouse réfugiée au Canada avec leurs trois enfants. Elle ouvre d’ailleurs le livre par une «Lettre» à son mari, suivie d’une préface écrite par lui depuis sa prison, dans des conditions de vie terribles.
Ce qui frappe, à la lecture de ces articles – parus en majorité sur les sites Al-Bilad, Al-Hiwar al Mutamaddin et Al-Jazira, entre 2010 et 2012 –, c’est le courage et la liberté de sa pensée dans un contexte de terreur. De manière limpide, directe, efficace, Badawi dit le besoin d’ouverture et de liberté face au poids d’une tradition qui veut maintenir le peuple dans l’ignorance, et évoque le joug que font peser sur toute créativité et toute vie intellectuelle l’absence de débats, la violence de l’aveuglement idéologique et celle de la pensée unique. S’il souligne la nécessité de séparer politique et religion, il invite à réfléchir à un modèle arabe de laïcité qui reste à inventer. C’est que les dérives du modèle occidental ne lui échappent pas non plus: ce système prédateur qui menace jusqu’à la survie de l’espèce humaine a trahi les promesses des Lumières, auxquelles Badawi fait appel à plusieurs reprises – ainsi qu’au libéralisme pris ici dans son sens premier, celui de respect et de liberté de l’individu. «Vivre et laisser l’autre vivre», résume-t-il, et on peut imaginer la charge dissidente de cette simple maxime.
Raif Badawi dévoile également l’absurdité des discriminations envers les femmes, réfléchit aux relations entre les sexes, ou encore aux Printemps arabes et au Proche-Orient. Le tout en se référant souvent au Coran, à des philosophes arabes comme aux Lumières. On ne peut que s’incliner devant son courage et sa lucidité, et se réjouir de découvrir la voix salutaire de celui qui a reçu le Prix Reporter sans frontières et le Prix Reuters pour la liberté de la presse, nominé cette année pour le Nobel de la paix. Espérons que ses graines de liberté finiront par germer.

 

RAIF BADAWI, 1000 COUPS DE FOUET. «PARCE QUE J'AI OSE PARLER LIBREMENT», TR. DE L'ARABE PAR FRANCE MEYER, ED. KERO, 2015, 60 PP.

http://www.lecourrier.ch/131092/une_voix_salutaire