Histoires de comptoir

C’est autour d’un bistrot que bat le pouls d’Une Larme de porto, peut-être?, premier roman de Claudia Quadri à être traduit en français. ­L’écrivaine et journaliste à la radio-télévision tessinoise fait du Ricovero dei poeti le cœur vibrant d’une vieille ville jamais nommée, aux rues pentues pavées de porphyre, où se croisent les solitudes d’habitués qui ont peu en commun. Le café est d’abord le royaume d’Ute, serveuse taciturne mais observatrice qui, chaque nuit, note sa vie et les histoires du quartier à l’aide d’un crayon soigneusement taillé. Il y a ainsi Giano, obèse et déchu, qu’elle méprise; l’ancien journaliste réputé répond à présent au courrier des lecteurs d’un magazine féminin. On y croise Mari Ann, fugueuse anorexique et violente, qui dérobe des livres dans la librairie de Claudio. Celui-ci baigne dans la mélancolie d’une récente séparation et le deuil d’un ami disparu en Afrique. En face de son échoppe, Spartaco s’occupe de la caisse du funiculaire et, plus loin, s’ouvre le magasin de deuxième main de Cosimo, qui accueillera la jeune fugueuse. Abel, professeur d’université doué d’une prodigieuse mémoire pour les citations, tisse quant à lui sa toile de séducteur autour de l’une de ses élèves.

Une Larme de porto, peut-être? (sobrement intitulé Lacrima dans sa version italienne) suit alternativement ces personnages, dans une polyphonie qui confère au récit dynamisme et profondeur. Claudia Quadri dévoile leurs blessures cachées, les zones d’ombre et les lâchetés qui gouvernent leurs trajectoires incertaines, croque sans complaisance mais avec tendresse leurs dérives et leurs espoirs. Dans une écriture directe et sensible, elle dessine en creux le portrait d’un microcosme et d’une époque.

 

CLAUDIA QUADRI, UNE LARME DE PORTO, PEUT-ETRE?, TR. DE L’ITALIEN PAR DANIELLE BENZONELLI, ED. PLAISIR DE LIRE, 2014, 175 PP.

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