Tel-Aviv au jour le jour

Les «sept années de bonheur» qui donnent leur titre au dernier recueil de nouvelles d’Etgar Keret, ce sont celles qui séparent la naissance de son fils de la mort de son père. «Un laps de temps précieux et limité où j’ai pu être à la fois un enfant protégé par son père, et un père omnipotent aux yeux de son fils», explique l’auteur né à Tel-Aviv en 1967. Le vieil homme étant malade, il sait cette période éphémère, et savoure d’autant plus la sensation d’avoir un «clan» autour de lui que les familles de ses parents ont été décimées pendant la Seconde Guerre mondiale. Paru en mai, Sept années de bonheur est ainsi le premier ouvrage autobiographique de celui qui est nouvelliste, cinéaste (Caméra d’or 2007 à Cannes pour Les Méduses), auteur de théâtre et de bande dessinée. Des fictions où la réalité vacille, semées de dialecte ou d’argot, très populaires en Israël et ailleurs, qui cèdent donc la place à un texte plus intime sans qu’il renonce pour autant à sa fantaisie et à son humour réjouissant.

Car le rire et l’imagination sont les armes de l’écrivain, dans un quotidien qui peut basculer d’une seconde à l’autre. Et si le hasard malheureux de l’actualité montre une fois encore l’inégalité des forces en présence, celle-ci n’enlève en rien la légitimité de cette parole qui témoigne de la manière de vivre dans un contexte tragique et instable, et évoque la question de la transmission de manière très fine. Ce n’est pas frontalement qu’Etgar Keret aborde les questions politiques, mais plutôt par les répercussions et les interrogations qu’elles font surgir dans sa vie. Ainsi, leur fils fera-t-il son service militaire? La question que lui pose une jeune mère au parc déclenche des débats nourris avec son épouse, symptôme des déchirements de la société israélienne. Ailleurs, le sens des gestes les plus banals est mis à mal: si l’Iran se dote de la bombe atomique, à quoi bon réparer la fuite au plafond ou faire le ménage? Et pourquoi lui, sa femme et son fils aiment-ils tant tirer des oiseaux sur de fragiles maisons? Les projectiles à plumes du jeu vidéo Angry Birds ne correspondent-ils pas à «l’esprit qui anime l’intégrisme religieux et le terrorisme»?

Keret évoque encore sa sœur orthodoxe et ses onze enfants, une alerte à la bombe, ses tournées littéraires et ses voyages en avion, un chauffeur de taxi agressif, des souvenirs d’enfance, la Pologne de sa mère où il hérite d’une maison étroite, sans se départir d’une douce ironie qui confère à ces courts textes leur tonalité légère, insolente, attachante. Il faut dire encore que ses anecdotes sont incroyablement savoureuses, leur exposition maîtrisée, leurs chutes impeccables – trop? Le texte semble parfois lissé, dépourvu des aspérités qui faisaient le mordant de ses précédents recueils. Serait-ce parce que Keret l’a d’abord écrit en hébreu, puis a retravaillé la version traduite en anglais pour le texte final? Car il n’a pas voulu que ces écrits autobiographiques paraissent en Israël, par pudeur. Ce bémol ne gâche heureusement pas notre plaisir. 

 

EDGAR KERET, SEPT ANNéES DE BONHEUR, TR. DE L’ANGLAIS PAR JACQUELINE HUET ET JEAN-PIERRE CARASSO, ED. DE L’OLIVIER, 2014, 197 PP.

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