Le blues du loser solitaire

Goalie, ex-junkie, la trentaine bien sonnée, sort de prison et tente de repartir à zéro dans sa ville natale de Schummertal. Il la retrouve grise et pluvieuse sous novembre, revoit ses vieux copains, déniche un travail, tombe amoureux de Regula, la serveuse du bistro du coin déjà en cou­ple, fera même avec elle une escapade en Espagne... S’il est un peu baratineur, un peu alcoolique, c’est avant tout un bon gars. Naïveté, fidélité à l’enfance? C’est parce qu’il n’a pas voulu dénoncer Ueli, son ami de toujours, qu’il a passé un an en prison. Mais il découvrira peu à peu qu’il a été trahi et que certains ont profité de sa gentillesse.

On avait suivi les tribulations de cet antihéros attachant dans Der Goalie bin ig de Pedro Lenz, best-seller en Suisse alémanique paru ce printemps en français sous le titre Faut quitter Schummertal! (lire notre critique). On le retrouve donc à l’écran dans Le Gardien c’est moi, incarné par un Marcus Signer bouleversant de justesse. Sur un scénario signé Jasmine Hoch et Lenz lui-même, ce quatrième long métrage de l’Argovienne Sabine Boss restitue à merveille l’esprit du roman, son humour et sa mélancolie douce-amère, tandis que le rugueux bärn­dütsch lui donne son rythme et sa couleur.

C’est tout un monde qui surgit, dans la banalité d’une petite ville bernoise des années 1980, avec son étroi­tesse et ses personnages emblématiques, établis ou marginaux, qui se connaissent depuis toujours. L’intrigue est d’ailleurs entrecoupée de flash-backs où, dans un flou nostalgique qui contraste avec la froideur de novembre, on les voit tous jouer au foot, Ueli et Goalie unis par une amitié sans faille. Si ce dernier a hérité de son surnom de «gardien», c’est qu’il s’est fait passer pour tel afin de sauver de la baston celui qui fit perdre l’équipe. Bouc émissaire au grand cœur, Goalie restera ce perdant magnifi­que qui porte sur le monde un regard confiant et un sourire désarmant. S’il apparaît ici plus taiseux que dans le roman, sa voix off ponctue délicieusement l’action. Pas de happy end en vue, bien sûr: c’est une douce tristesse qui flotte autour d’un Goalie esseulé dans le dernier plan du film.

Le Gardien c’est moi a été vu outre-Sarine par plus de 110 000 spectateurs  et a raflé quatre distinctions lors des derniers Prix du cinéma suisse: meilleurs film, scénario, acteur (Marcus Signer) et musique – le blues de Peter von Siebenthal et Richard Köchli souligne la mélancolie de ce cow-boy solitaire. Pourquoi donc sort-il sur les écrans romands au creux de l’été? Ce petit bijou tendre et cruel méritait bien mieux.

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