La lignée des loups

Après le suicide de son père, le «gamin», 9 ans, est confié à ses grands-parents. Il y a la grand-mère au fort caractère, le grand-père manchot et iconoclaste, mais aussi Onna Maria Tumera, nommée Oria, la très vieille arrière-grand-mère, soit quatre générations rassemblées sous le même toit dans un petit village des Grisons. Tantôt narrateur tantôt personnage, le «gamin» porte sur ses ancêtres un regard enchanté, souvent délicieusement absurde et bourré de fantaisie. Car l’univers romanesque de Leo Tuor est des plus singuliers, qui s’affranchit des limites de la logique narrative pour construire un texte fragmentaire et poétique, parfois cocasse et finalement très libre. C’est que ses personnages ont tous leur grain de folie... Ecrivain, traducteur et éditeur, Tuor a été découvert en français avec son insolite récit d’un berger, Giacumbert Nau (L’Age d’Homme, 1997), premier volume de sa «trilogie sursilvane» qui sera suivi par Onna Maria Tumera et par Settembrini.

Ici, on se laisse donc emporter dans un microcosme à part, où les ancêtres descendent du loup, où un grand-père amoureux des livres se prendra pour un chien, où Oria, la «magicienne des mots», est dotée de dons particuliers. «Ou bien tu sautes ou bien tu ne sautes pas et tu restes à la traîne, comme la plupart. De profil, tu es un tigre. Tu sautes», souffle-t-elle au garçon alors qu’il sombre dans le sommeil. La littérature et l’imaginaire imprègnent cette communauté partagée entre traditions et modernité. Même si le grand-père n’a pas grand chose à dire dans ce monde dirigé par les femmes, il a son langage à lui, imagé, péremptoire, incompréhensible pour ceux qui ne le connaissent, truffé de citations. L’auteur lui-même joue de l’intertextualité, glissant des paragraphes d’écrivains aimés en écho au récit principal. Celui-ci se déroule en brèves scènes juxtaposées, réminiscences ou anecdotes, dans une langue qui joue des décalages – entre les registres, entre le regard de l’enfant et celui de l’adulte – et se révèle aussi délicieusement inventive et anticonformiste que ces inoubliables personnages.    

 

LEO TUOR, ONNA MARIA TUMERA OU LES ANCETRES, TR. DU SURSILVAN PAR WALTER ROSSELLI, ED. D’EN BAS, 2014, 171 PP.

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