A l’orée du silence

Traductrice littéraire genevoise, Mathilde Vischer publie un très beau premier recueil de proses poétiques dont la douceur et la précision sensuelle participent de la puissance évocatrice. Lisières est construit en trois parties, organisées en brefs pavés de texte qui tiennent sur un seul paragraphe flottant dans le blanc de la page: ces blocs de mots semblent émerger du silence, comme des pierres à la surface d’une rivière, toujours à l’orée de l’indicible, l’effleurant à peine.

La première partie déroule des petites scènes hétéroclites aux chutes inattendues, avec une attention aux détails infimes, dans un rythme calme où une grande tendresse s’allie à une part d’ombre toujours présente. Il y a la marche de ce scarabée dans le canon d’une arme, une main qui coupe du bois, l’attente d’une vieille femme en haut d’une colline où elle «travaille la mort dans les arbres, le tintement de l’eau du château et, le soir avancé, dans les cris sombres de la chouette, le battement d’ailes de chauves-souris». Il y a aussi le rire merveilleux d’un enfant, la danse tourbillonnante d’une petite fille à la robe rouge, une femme tressant les cheveux d’une fillette avant son départ à l’école avec «tant, trop d’amour qui se dresse soudain comme la lumière, et dans chaque brin tous les efforts à vivre, les peurs à perdre».

La deuxième partie fait allusion à la mort d’un enfant attendu, le petit cœur – «pulsation de coccinelle» – qui soudain s’arrête dans le corps d’une femme encore «dans la joie de le croire avec elle jusqu’au bout de la vie». Autour de cette fin minuscule, tremblement de terre intime, Mathilde Vischer évoque le deuil, la beauté du monde devenue le «tombeau d’une promesse», et les mystères du corps, obscur, blessé, désirant. Enfin, c’est un homme seul qui déambule dans un troisième volet peuplé d’oiseaux. Il pense à l’affliction de celle qui a perdu ses «yeux clairs». Le corps est pour lui la «seule certitude», et c’est par son regard sur celui de la femme qu’il lui rendra son rire.

Les trois parties de Lisières entrent ainsi dans un dialogue qui jamais ne s’épuise, riche de motifs et d’échos où la nature, évidente et silencieuse, est omniprésente – corps, arbres et bêtes. La mort en fait partie, la vie est un vol d’étourneaux: «On ne peut pas savoir quelle sera demain, un autre jour, la destination de leur haut vol en migration.» Enfin, des Yeux fertiles à La Femme des sables, le recueil garde des traces d’œuvres littéraires ou cinématographiques. Mais nul besoin de les reconnaître pour apprécier l’écriture si juste de Mathilde Vischer, délicate et profonde.   

 

MATHILDE VISCHER, LISIERES, ED. P.I.SAGE INT.éRIEUR, 2014, 69 PP.

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