Désamour maternel

C’est l’histoire d’un vide, d’un manque vertigineux qui se creuse entre une fillette et sa mère incapable de l’aimer. L’Accident s’ouvre sur des accents d’angoisse, celle de Marion, 7 ans, qui ne reconnaît plus sa mère et se heurte au mur de son silence. Nous sommes en 1980. Celle-ci conduit sur les routes hivernales de la campagne française, la petite à l’arrière, inexistante, le ventre noué. «Sa mère n’est pas éteinte. Elle est devenue quelqu’un d’autre.» Que s’est-il passé?, s’interroge-t-elle. C’est ce que tente de décrypter Marianne Brun, scénariste française établie en Suisse, dans ce premier roman divisé en trois parties qui tient en haleine par sa construction comme par sa sensibilité.

Au fil des kilomètres sur l’asphalte enneigé, le premier volet déroule le fil des souvenirs de Marion, des événements de l’après-midi aux plus lointaines images, qui dessinent peu à peu le récit d’un poignant désamour. Au centre, une dispute avec son petit frère, le lancer d’une cuillère qui le blesse – un accident – et la punition qui s’ensuit: elle est envoyée en colonie pour de longues semaines et ne recevra aucune nouvelle de cette mère si dure. «Ses mains crispées. Tendons saillants. Des tiges de bois. Des flèches. Et ces veines bombées, qui serpentent sous la peau...» Les pensées de l’enfant sont stoppées net par l’accident: la voiture fait une embardée et s’encastre dans le fossé. Sortant du véhicule, sa mère intime à Marion l’ordre de rester sur place, sans même la regarder, sourde à ses appels alors qu’elle s’éloigne dans l’obscurité glacée.

Mais quel est le «monstre puant» qui l’habite? A ces pages terribles qui respirent l’absence et la violence radicale de l’indifférence, Marianne Brun juxtapose alors le point de vue de Christine, forcément complexe. La jeune femme – elle n’a que 25 ans – est tombé enceinte par «accident». Obéissant aux femmes de la famille, elle a fait ce qu’on attendait d’elle et s’est mariée avec le père. L’enfant était aussi «son seul sésame pour une vie meilleure. Pour fuir la Jeanne» – sa propre mère. Le désamour se transmet de mère en fille, suggère l’auteure, qui ménage son suspense et brosse des personnages tout en nuances. Lourd héritage en effet que celui qui fait troquer les rêves contre un rôle tout prêt de femme au foyer, et entraîne Christine dans une spirale autodestructrice contre laquelle se heurtera l’amour des siens. L’auteure ancre ainsi son dysfonctionnement dans le contexte plus vaste d’un ordre social aliénant, dont les individus sont finalement bien impuissants à démêler les fils.

 

MARIANNE BRUN, L’ACCIDENT, L’AGE D’HOMME, 2014, 221 PP.

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