Le monde en noir

Après Sonny (Prix du Roman des Romands 2010-2011), qui voyait son héros traverser l’Atlantique pour fuir un monde qu’il ne supportait plus, Philippe Testa puise au même sombre pessimisme dans Le Crépuscule des hommes, une œuvre ambitieuse, «quasi philosophique, mais non dénuée d’une distance certaine», avertit l’éditeur.

Ici, on a affaire aux affres de deux quinquagénaires, amis de toujours, arrivés à l’heure du bilan. Beat, divorcé, père de deux adolescents, se retrouve très seul dans un monde professionnel détesté. Alder, lui, observe les jeunes loups aux dents longues de son entreprise, fantasme sur une jeune femme nouvellement engagée, confie ses doutes à une épouse clairvoyante et maternelle. On les suit dans leur quotidien littéralement désenchanté, et on pense aux antihéros de Michel Houellebecq, chez qui le cynisme est l’expression du désespoir et du vide existentiel. Beat finira par redonner un sens à sa vie dans les vastes paysages du Valais, grâce à l’amour, auprès de l’étonnante Rachel qui irradie d’une sereine sagesse.

Philippe Testa entrelace à cette intrigue des chapitres théoriques qui réfléchissent à son contexte, épinglant la «faillite généralisée» de notre société. Il dépeint ainsi un monde qui va droit dans le mur, entre désastre climatique annoncé, égoïsme et vaine course au bien-être matériel. Et de dénoncer les rôles sociaux factices, les relations manipulatrices, les diktats de l’apparence, l’absurdité du management, l’aliénation du monde de l’entreprise, etc., le tout étant porté par un «nous» qui inclut dans ce vaste déclin l’entier du genre humain.

Mais l’exercice de dénonciation de cet échec global n’est pas aisé, et une litanie de récriminations ne suffit pas à incarner une vision. En effet, comment vivre dans une société inconsistante et sans lendemain? Les questions qui hantent l’auteur auraient mérité d’émerger au fil de la trame narrative plutôt que d’être explicitement exposées: généraliser est un pari risqué en littérature, et les diagnostics posés par Philippe Testa tiennent davantage du poncif que d’une analyse sociologique ou politique fine. Les médias ont été unanimes à saluer ­l’ampleur du roman et de ses enjeux. Mais selon nous, l’auteur n’évite pas le cliché, et on a le sentiment d’avoir mille fois entendu, au café du commerce, ces amères diatribes.

 

PHILIPPE TESTA, LE CREPUSCULE DES HOMMES, ED. L’AGE D’HOMME, 2014, 363 PP.

http://www.lecourrier.ch/124135/le_monde_en_noir