Immersion vive en eaux troubles

«Plic, Plic, Ploc, Ploc, reprend l’eau, qui continue à s’épandre dans le lit conjugal.» Luis et Rose Parois finissent par être réveillés par les gout­tes qui tombent du plafond. Elle panique jusqu’à frapper et insulter son mari, car leur fils Lucas vit à l’étage au-dessus, le dernier de l’immeuble. Luis fonce dans l’escalier, ouvre la porte avec son double des clés, et découvre un appartement vide: Lucas a disparu. Pourquoi? Où est-il? En attendant, l’eau a réveillé la petite Liza et sa mère Irina, ainsi que le timide Jules César, qui débarquent sur le palier où une Rose ­défaite et fantomatique récupère les objets détrempés de son fils sans se soucier des voisins. Ainsi s’ouvre L’Inondation, premier roman de Raluca Antonescu, qui dévoile peu à peu les habitants de l’immeuble alors que l’eau continue tranquillement son chemin.

Il y a donc la petite Liza et son imaginaire débordant, sa mère dont le sérieux cache des blessures, la solitude de la vieille Edwige, veuve étouffée par la collection de minéraux de son mari, le renfermé Jules César qui finit par s’épanouir dans une mission particulière, les époux Parois enfin, et leur amour malgré les ressentiments et la folie qui menace. L’auteure, enseignant les arts visuels à Genève, construit un roman choral où les personnages occupent successivement le premier rôle, tandis que se précisent les raisons de la disparition de Lucas. Celle-ci cristallise les tensions latentes et met en lumière les failles de chacun. Loin de l’intrigue policière, c’est de relations difficiles et de non-dits dont il s’agit ici.

L’inondation offre un dispositif intéressant, qui permet d’entrer dans l’intimité des habitants de l’immeuble: on a le sentiment de pénétrer toujours davantage dans leurs intérieurs éclairés, la plume de Raluca Antonescu en guise de faisceau lumineux sensible et respectueux. Enfin, l’eau creuse ses sillons dans l’imaginaire, fait fondre les ­rigidités, ouvre des passages entre les étages et des voies vers soi et l’autre. La rencontre entre les habitants transformera leurs vies. En ­dépit d’un travail d’édition peu soigné – coquilles, lourdeurs et fautes de ponctuation –, L’Inondation touche et déroule son lot de surprises et d’expectatives.

 

RALUCA ANTONESCU, L’INONDATION, ED. LA BACONNIERE, 2014, 296 PP.

http://www.lecourrier.ch/124324/immersion_vive_en_eaux_troubles