Sept histoires en réseau

Subtilité, art maîtrisé de l’ellipse et précision d’une langue qui se fait le fin sismographe des ambivalences, des désirs et des rêves des protagonistes: après la pièce Baptiste et Angèle, Rwanda 2008 et le polar Larsen, qui se déroulait dans le milieu du théâtre (tous deux également publiés par les éditions genevoises des Sauvages), Francine Wohnlich signe avec Absence prolongée sept nouvelles remarquables de densité et de justesse. Avec une empathie qui n’interdit pas l’humour, celle qui a travaillé comme comédienne et metteure en scène fait exister ici une palette de personnages à l’épaisseur attachante, pris à des moments de leur vie où se fissure la lisse façade des apparences.
C’est peu à peu qu’on découvre les relations entre les protagonistes des différents récits. Le livre s’ouvre avec «Maisons jumelées», où le roublard Antoine joue avec les sentiments des autres, lui qui vit avec Amandine tout en fréquentant Cléa. Jusqu’au jour où il devra faire face aux conséquences. Dans «Morte saison», Anja vient d’assister à l’enterrement de Mary, épouse de son collègue Andrew, et soudain fond en larmes: elle se sent «lâchée» par son conjoint, qui a accepté une promotion. Comment le dire sans le lui reprocher, comment n’être pas celle qui attend et se sacrifie? Plus facile d’en parler avec son amie Cléa qu’avec lui! La vieille Alice est le personnage central d’«Ecran total». Invitée par ses enfants pour une journée au bord de la mer à l’occasion de son anniversaire, elle porte sur eux un regard sans concession: Andrew et Mary, qui ont perdu un enfant, semblent devenus frères et sœurs, Patrice reste drôle malgré une épouse trop parfaite, leurs filles sont agaçantes et Cil, l’éternelle célibataire, si froide... Le vernis distant et séducteur de la grand-mère indigne finira pourtant par craquer.
On retrouve Cil dans le récit qui clot le recueil: pédiatre, elle reçoit ses patients avec une sensibilité rare et sa vie solitaire semble riche – mais la proposition d’un vieil ami lui renvoie en pleine figure une réalité plus douloureuse. Quant à Amandine, elle réapparaît dans «Décousue, unanime» – elle trouve dans son atelier un espace de création où respirer et puiser des forces neuves après les manipulations d’Antoine –, ainsi que dans «Prises de loin». Ici, Gabriel, célèbre photographe revenu exposer dans sa ville, est confronté à son passé: tout lui évoque la jeune femme, amour idéalisé qu’il a été incapable de rejoindre quand elle s’offrait enfin à lui. Il sera pris à partie par Cyril, révolté par ses clichés qui esthétisent la douleur – le jeune homme est au cœur d’«A rames ou moteur».
Même si tous les récits peuvent être lus indépendamment – chacun est centré sur l’un des personnages –, les fils qui les relient tissent une toile légère, vaste et délicate, souple et superbement construite. Les intrigues y gagnent en relief et en profondeur, tandis que se dessine une géographie humaine où les histoires se croisent avec élégance en se jouant des frontières du temps. Et l’écriture sensible et aiguisée de Francine Wohnlich sert à merveille la finesse de son propos.

 

Francine Wohnlich, Absence prolongée, Ed. des Sauvages, 2015, 173 pp.

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