Inachevée, vivante
C’est par référence aux arts visuels, figuratifs ou abstraits, que l’on voudrait décrire ce livre, et l’expérience qu’il propose. Quelques jours, quelques semaines après l’avoir parcouru, attentivement, tendrement, difficile d’en raconter le contenu, d’en dégager une trame. Les fils narratifs s’entremêlent et ce n’est pas à une histoire qu’il faut s’accrocher, car bien d’autres impressions fortes se sont ancrées ailleurs dans la mémoire et dans le corps, surtout des visions, d’impérieuses images-mirages, des chatoiements qui rejaillissent lorsqu’on reprend le livre en main, persistances rétiniennes comme après avoir regardé trop longtemps le soleil en face.
Avec Inachevée, vivante, Pierrine Poget propose une expérience du corps, féminin mais aussi universel, dans la minutie et le trouble des sensations traversées durant une vie d’adulte. L’ouvrage commence par un abus, une aliénation, une nudité démunie – d’où il faut réémerger, avec l’aide des années, des amitiés, de la réflexion. La réflexion surgit grâce à une note retrouvée, rappelant le souvenir d’un son, dépliant un autre espace-temps (Paris en 1989), ramenant à la mémoire cette citation de Deleuze sur la tristesse qui survient « lorsque je suis séparé d’une puissance » … Ce vertige des couches mémorielles, de la superposition des mondes qui ploient les uns par-dessus les autres, se déploient les uns sous les autres, le texte le rend possible en s’appuyant sur de multiples supports génériques et en jouant des opportunités créatives offertes par le collage. « Le son est un gardien du temps et de la coïncidence », nous dit une fois la narratrice. Et plus tard : « Je suis devenue mère à mon tour et c’est la peinture – notamment elle, et d’autres images aussi – qui m’a fait comprendre ce que cet était faisait à ma vie, dans quelle position il me plaçait ou tendait irrésistiblement à le faire. »